Lutter pour l’avenir de l’éducation publique dans une Europe sociale
Résolution de la Conférence du CSEE 2024
Faisant suite − et conformément − aux résolutions adoptées par le 9eCongrès mondial de l’IE et le 10eCongrès mondial de l’IE convoqué à Buenos Aires en 2024, aux résolutions adoptées par la Conférence du CSEE en 2020, par la Conférence extraordinaire du CSEE en 2021 et par la Conférence spéciale du CSEE convoquée à Liège en 2022, la présente Conférence du CSEE :
Reconnaît ce qui suit :
1.Le CSEE a pour mission de lutter pour l’avenir de l’éducation publique dans une Europe sociale. L'éducation de qualité est non seulement un bien public, mais aussi un droit humain. Tous les personnels de l’éducation doivent rejoindre le CSEE dans cette lutte, afin de défendre le rôle sociétal de l’éducation dans la création de démocraties plus justes à l’avenir.
2.L’éducation est un bien public et un droit humain. L’éducation publique est la pierre angulaire de la démocratie, de la cohésion sociale et du développement humain. Elle est essentielle à la fois pour les opportunités de vie des individus – enfants et élèves – et pour les progrès de la société dans son ensemble, car elle permet à tout·e·s d’acquérir les connaissances, les aptitudes et les compétences nécessaires pour évoluer dans la société et y contribuer. Elle permet aux citoyen·ne·s de s’émanciper, promeut l’esprit critique et favorise le respect de la diversité. Pourtant, l’éducation publique en Europe est confrontée à une multitude de défis qui menacent sa qualité, son inclusivité et sa durabilité.
3.Les cadres européens et internationaux existants sont cruciaux pour définir les règles, les principes et les objectifs pour l’avenir du secteur de l’éducation et les politiques du travail et de l’emploi : par exemple, l’Espace européen de l’éducation, le Socle européen des droits sociaux, le cycle politique du Semestre européen, l’Espace européen de la recherche (EER) et les Objectifs de développement durable.
4.La montée de l’extrême droite et des mouvements extrémistes représente un problème important dans le paysage politique actuel de l’Europe, notamment dans le contexte des guerres et conflits en cours à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières. Le discours populiste véhiculé par les formations d’extrême droite gagne du terrain, exploitant les peurs et l’insécurité générées par l’instabilité économique. Les élections européennes de juin 2024 ont été un moment crucial pour définir l’orientation politique de l’Union européenne.
5.Si l’émergence des partis d’extrême droite représente une menace pour les institutions politiques démocratiques, elle soulève également des inquiétudes quant à la voie empruntée par l’Union européenne et, plus généralement, par les États membres. Lutter contre l’avancée de l’extrême droite nécessite, d’une part, d’adopter une approche multidimensionnelle englobant les politiques socio-économiques et les initiatives en faveur de l’intégration culturelle et, d’autre part, de défendre avec force les valeurs démocratiques pour éviter l’érosion des libertés et des droits fondamentaux.
6.Un grand nombre de pays européens sont touchés par une pénurie d’enseignant·e·s sans précédent. Le manque d’attrait de la profession enseignante, dû notamment à la faiblesse des salaires et des pensions, aux conditions de travail précaires et de mauvaise qualité, au manque de reconnaissance de la profession, à la surcharge de travail et aux perspectives de carrière limitées, compte parmi les principaux facteurs qui expliquent cette pénurie. Par ailleurs, les effectifs sont vieillissants et ne sont pas suffisamment diversifiés, reflétant les inégalités sociales persistantes dans le système éducatif.
7.Une négociation collective cohérente et un dialogue social efficace sont non seulement bénéfiques pour les personnels de l’éducation, mais également pour une éducation inclusive de qualité pour tous les individus et l’ensemble de la société, en s’assurant que les enseignant·e·s reçoivent les ressources, les formations et l’autonomie suffisantes pour exercer efficacement leur profession. La négociation collective contribue également à revaloriser le statut et la reconnaissance des enseignant·e·s, permettant ainsi d’attirer et de retenir des professionnel·le·s qualifié·e·s et motivé·e·s dans le secteur de l’éducation. D’autre part, la négociation collective contribue à promouvoir la justice sociale en répondant aux besoins et en défendant les intérêts des groupes diversifiés marginalisés au sein de l’éducation, tels que les personnes migrantes, réfugiées ou porteuses d’un handicap. Le dialogue social se révèle particulièrement nécessaire pour lutter contre les inégalités entre les hommes et les femmes au sein de la profession enseignante et de la société, notammentles stéréotypes sexistes et la ségrégation entre les hommes et les femmes dans les différents secteurs de l’éducation, ainsi que pour promouvoir l’accession des femmes aux postes décisionnels, éliminer les écarts de rémunération et de pension entre les hommes et les femmes, combattre la violence et le harcèlement fondés sur le genre et lutter contre les gouvernements qui veulent contourner le dialogue social.
8.Il est d’une importance cruciale d’intégrer la durabilité environnementale aux programmes de formation, dans la mesure où cette thématique appelle de nouvelles compétences et approches, et doit donc bénéficier de ressources suffisantes pour financer le matériel d’enseignement et de formation pour les enseignant·e·s. Pour relever les défis environnementaux, il faut réaliser des investissements significatifs dans la rénovation des bâtiments scolaires et universitaires, en utilisant de manière judicieuse les ressources naturelles telles que l’eau et l’énergie, mais aussi en tenant réellement compte de l’environnement dans la gestion quotidienne, notamment les achats, le recyclage, la biodiversité, la mobilité, etc. De même, la transition numérique transforme les méthodes d’enseignement et a un impact sur l’autonomie professionnelle des enseignant·e·s et des chercheur·euse·s.
9.La transition numérique nécessite d’allouer suffisamment de ressources et de donner aux enseignant·e·s le dernier mot dans les institutions et systèmes éducatifs, pour leur permettre, ainsi qu’aux personnels de l’éducation, de répondre efficacement à un environnement en pleine mutation. Les choix budgétaires auront un impact sur les services publics. Dans ces secteurs, la tendance est davantage aux économies qu’aux investissements. Ces coupes budgétaires ou cette insuffisance d’investissement affecteront directement les écoles et, partant, les employé·e·s, les candidat·e·s potentiel·le·s, les jeunes et les personnes âgées. Elles auront un impact encore plus important sur les personnes vulnérables ou qui rencontrent des difficultés financières.
10.Les études indiquent une diminution constante des investissements publics pour l’éducation dans les pays européens de l’OCDE, alors que les investissements privés demeurent stables : une telle situation augmente aujourd’hui le risque de privatisation et de commercialisation de l’éducation, notamment au travers des investissements dans des solutions technologiques appliquées à l’éducation. Cette privatisation impacte le contenu de notre éducation et l’autonomie professionnelle du personnel enseignant.
Considère que :
1.Remédier à la pénurie d’enseignant·e·s doit être une priorité pour garantir l’avenir de l’éducation publique dans une Europe sociale. Les gouvernements nationaux doivent accroître les investissements publics dans l’éducation publique, garantir des rémunérations, des pensions et des conditions de travail décentes et compétitives pour les enseignant·e·s et les professionnel·le·s de l’éducation, renforcer leur autonomie professionnelle et leur statut, assurer leur développement professionnel continu et leur bien-être, et encourager la gouvernance collégiale et le dialogue social dans les établissements scolaires.
2.Un dialogue social structuré et une négociation collective cohérente avec des syndicats de l'enseignement forts sont essentiels pour garantir des systèmes d’éducation inclusifs et démocratiques. Ils permettent l’implication et la représentation des personnels de l’éducation dans les processus décisionnels ayant une incidence sur leur vie professionnelle et personnelle. Ils favorisent également une culture de la collaboration et le respect mutuel entre les différents acteurs du secteur de l’éducation, tels que les gouvernements, les employeurs, les parents, les élèves et la société civile.
3.Il est prioritaire pour les syndicats de l'enseignement de mettre l’accent sur l’égalité et l’inclusion dans le cadre du renouvellement syndical, en tenant compte des besoins des personnels de l’éducation issus de différents milieux, d’encourager l’adaptation interne des organisations syndicales pour mieux appréhender les nouvelles tendances observées dans le monde du travail, et de renforcer les alliances avec la société civile et les organisations qui soutiennent les revendications des syndicats.
4.Il est essentiel de continuer à apporter soutien et solidarité aux syndicats européens du secteur de l’éducation afin de pouvoir engager la négociation collective. La négociation collective couvre un large éventail de problématiques, telles que les salaires, le temps de travail, la santé et la sécurité, l’égalité entre les hommes et les femmes, le développement professionnel, l’autonomie professionnelle et la liberté académique, les programmes d’études, les évaluations et les procédures de règlement des griefs. La négociation collective peut amener les personnels de l’éducation à obtenir de meilleures conditions de travail.
5.Les gouvernements nationaux et les autorités éducatives doivent résister aux tentatives de privatisation de l’enseignement, dans la mesure où elles portent atteinte à l’éducation en tant que bien public et encouragent la concurrence axée sur le marché, la ségrégation et l’exclusion au sein de ce secteur. Le système éducatif privé, lorsqu’il n’intègre pas les obligations de service public, ne devrait pas recevoir de fonds publics. La Conférence du CSEE plaide en faveur de systèmes d’éducation publics gratuits, universels, équitables et démocratiques, respectant les droits humains, ainsi que l’autonomie professionnelle et la liberté académique, et offrant une éducation de qualité et inclusive pour tous les individus, indépendamment de leur situation et de leurs aptitudes. Un tel système doit avoir pour priorité le droit des enfants et des élèves à une éducation de haute qualité, qui constitue le fondement du développement personnel et de l’inclusion sociale. Le potentiel des technologies numériques devrait servir à améliorer l’enseignement et l’apprentissage. Il est nécessaire de conserver une approche de la numérisation centrée sur l’humain, qui respecte les principes pédagogiques, les normes éthiques et la justice sociale. Il importe également de mettre en place des garde-fous pour prévenir les risques en lien avec la vie privée, la protection des données, la cybersécurité et la culture numérique. Il est nécessaire de maintenir une approche de la numérisation centrée sur l’être humain et respectant les principes pédagogiques, les normes éthiques et la justice sociale. De même, une éducation à l’épreuve du temps est une éducation qui se veut plus durable sur le plan environnemental et qui contribue à sensibiliser au changement climatique et à la citoyenneté écologique.
6.L’éducation joue un rôle essentiel dans l’intégration des groupes défavorisés, en particulier les personnes migrantes, réfugiées ou demandeuses d’asile. L’éducation contribue à renforcer le dialogue interculturel, la compréhension mutuelle et la solidarité entre les différentes communautés qui composent notre société. Il existe cependant un réel besoin d’accorder des ressources et un soutien supplémentaires aux enseignant·e·s qui travaillent avec des élèves ayant des besoins divers et de mieux reconnaître et mettre en valeur leur contribution à l’inclusion sociale.
7.Le CSEE est convaincu de l’importance des services publics tels que les écoles. Ils constituent un pilier essentiel pour garantir une société juste. Ensemble, ils forment « la richesse collective, la seule de celles et ceux qui n’en ont pas ».
Confirme l'engagement des organisations membres du CSEE à :
1.Plaider en faveur d’un soutien ferme et indéfectible à l’éducation, en tant que bien public et droit humain universels, et appeler les gouvernements nationaux et les autorités compétentes à assurer et accroître le financement public durable et fiable de l’éducation − une condition préalable indispensable pour garantir une éducation de qualité et inclusive pour tous les individus et améliorer les conditions de travail, les salaires et les pensions dans ce secteur.
2.Lutter pour la reconnaissance et le respect des prérogatives des syndicats de l'enseignement et revendiquer leur participation active au dialogue social et à la négociation collective au niveau national et européen. Les syndicats de l'enseignement sont la seule voix collective légitime des personnels de l’éducation en Europe et s’opposeront à toute ingérence extérieure dans leur liberté syndicale.
3.Se mobiliser en vue de défendre et renforcer le dialogue social et la négociation collective à tous les niveaux, en renforçant notamment les pratiques nationales, en établissant des stratégies pour améliorer les conditions d’emploi et de travail des enseignant·e·s, des responsables d’établissement scolaire, des universitaires, des chercheur·euse·s et de l’ensemble des personnels de l’éducation, et contribuer au renouvellement et à l’organisation des syndicats.
4.Continuer à défendre le droit à l’action syndicale. Le droit d’association, le droit à l’action collective (y compris le droit de grève) et le droit à la liberté d’expression sont essentiels dans une démocratie et en tant que contrepouvoir dans la négociation collective.
5.Amplifier et développer la campagne de l’IE « La force du public : ensemble on fait école » dans le cadre européen.