« Nous ne les appelons pas des réfugié·e·s, nous les appelons des invité·e·s », déclarent les syndicats polonais

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Suite à l'invasion militaire de l'Ukraine par la Fédération de Russie, qui a commencé le 24 février 2022, des millions de personnes ont été déplacées, fuyant la zone de guerre vers les pays voisins, dont une majorité de femmes et d'enfants. La plupart des personnes quittent l'Ukraine et traversent la frontière pour chercher refuge dans des pays de l'UE ou d'autres pays voisins, comme par exemple la Pologne, la Roumanie, la Moldavie, la Slovaquie et la Hongrie. De nombreux syndicats de l'enseignement dans ces pays ont déjà exprimé leur solidarité avec le peuple ukrainien et sont intervenus pour soutenir les réfugié·e·s, en particulier les enfants et les jeunes.

Aujourd'hui, nous avons parlé à Monika Ćwiklińska de NSZZ "Solidarność", Dorota Obidniak de ZNP et Aniela Bialowolska Tejchman de la Section nationale des sciences de NSZZ "SOLIDARNOSC", trois organisations membres du CSEE en Pologne, à propos de leurs actions de soutien aux enseignant·e·s ukrainien·ne·s et aux réfugié·e·s dans leur pays.

 

1. En raison du conflit militaire en cours en Ukraine, la Pologne connaît un afflux sans précédent de réfugié·e·s, dont la plupart sont des femmes et des enfants. Pourriez-vous nous dire quelle est la situation actuelle dans votre pays et quel en est l’impact sur le système éducatif ?

Dorota Obidniak : Plus de 2,6 millions d'Ukrainien·ne·s ont traversé la frontière polonaise depuis le début de la guerre. Nous ne les appelons pas des réfugié·e·s ; nous les appelons des invité·e·s. C'est deux fois plus que ce que l'Allemagne a accueilli pendant la soi-disant crise migratoire en deux ans, et non en 6 semaines. Les enfants ukrainiens ont le même droit à l'éducation que les enfants polonais. Les tuteur·trice·s, qui sont généralement des mères, des tantes, des grands-parents ou même des ami·e·s des parents (lorsque les parents des enfants ont dû rester en Ukraine) peuvent inscrire l'enfant à l'école. Le problème n'est pas la réglementation mais le manque concret de places et d'enseignant·e·s. Les écoles et les jardins d'enfants acceptent les élèves malgré les problèmes d'hébergement et le manque d'enseignant·e·s. On estime qu'à Varsovie seule, il y a environ 100 000 étudiant·e·s (700 000 en Pologne). Chaque jour, environ un millier de nouveaux étudiant·e·s sont inscrit·e·s dans les écoles. L'école polonaise moyenne compte 500 élèves, vous pouvez donc imaginer que c'est comme si vous deviez créer deux nouvelles écoles chaque jour.   

Monika Ćwiklińska: Dès le premier jour de la guerre, les Polonais·e·s ont rapidement organisé l'aide aux réfugié·e·s : il·elle·s s ont mis en place des points d'admission à proximité des points de passage frontaliers, approvisionné les arrivant·e·s en nourriture, vêtements, produits d'hygiène et fourni une assistance médicale. De nombreuses campagnes de collecte de fonds pour les réfugié·e·s d'Ukraine ont été lancées. Les enseignant·e·s polonais·e·s sont particulièrement actif·ve·s pour apporter de l’aide. Avec leurs élèves, il·elle·s ont organisé toutes les formes d'aide. Le personnel éducatif prend également grand soin des enfants réfugié·e·s qui viennent à l'école, essayant d'atténuer leur stress et leur traumatisme de guerre. Notre loi sur l'éducation permet la création de classes préparatoires pour étranger·ère·s, où les enfants et les jeunes peuvent apprendre la langue polonaise. En plus du manque d'espace et d'enseignant·e·s, il existe toujours un problème juridique lié une rémunération supplémentaire pour les efforts accrus des enseignant·e·s et des autres employé·e·s de l'administration scolaire.

Aniela Bialowolska Tejchman: De nombreuses universités, à travers la Pologne, qui sont membres de la Section nationale des sciences, ont mis leurs foyers et dortoirs d'étudiant·e·s à la disposition des réfugié·e·s, pour un total de 200 à 300 places. Presque dans chaque université ou établissement d'enseignement supérieur, un bureau ou une unité spéciale a été créé pour fournir une aide aux étudiant·e·s, enseignant·e·s et chercheur·euse·s ukrainien·ne·s en fonction de leurs besoins, y compris le logement, l'aide financière, les vêtements et tout autre soutien nécessaire. De nombreuses universités polonaises ont également déclaré que les étudiant·e·s ukrainien·ne·s peuvent être inscrit·e·s à des conditions spéciales sans avoir à payer leurs études. Il·elle·s bénéficient également de résidences étudiantes gratuites et de l'aide nécessaire. Il en va de même pour les enseignant·e·s et les universitaires : comme le marché du travail polonais leur est ouvert, il·elle·s peuvent être employé·e·s sans problème par les établissements d'enseignement. En outre, l'Académie polonaise des sciences a lancé un programme spécial et bien financé pour les chercheur·euse·s ukrainien·ne·s. 

2.  Quelles mesures votre syndicat prend-il pour régler ces problèmes? Que demanderiez-vous à votre gouvernement ?

Monika Ćwiklińska: Le Syndicat indépendant et autonome Solidarność s'est activement impliqué dans l'aide aux réfugié·e·s. De nombreuses femmes avec enfants sont admises dans nos centres de formation et bénéficient d'une assistance complète. Nos sections syndicales régionales collectent et donnent des fonds aux Ukrainien·ne·s nouvellement arrivé·e·s. Localement, elles viennent en aide aux réfugié·e·s individuellement en leur fournissant tous les biens nécessaires à une vie normale. Il convient de noter que nous attendons du gouvernement une proposition de modification de la loi sur l'éducation pour introduire des cours de polonais obligatoires dans les écoles et les jardins d'enfants permettant aux enfants ukrainiens d'apprendre le polonais.

Aniela Bialowolska Tejchman: La Section nationale des sciences reste en contact avec les membres du Parlement, le ministère des Sciences et de l'Éducation et le gouvernement pour signaler les problèmes les plus importants à traiter, pour résoudre les questions et défis émergents.

Dorota Obidniak: Les structures locales du ZNP organisent la collecte de dons pour les Ukrainien·ne·s dans presque toutes les écoles et jardins d'enfants polonais, en coopération avec les gouvernements locaux car, au niveau local, les besoins des Ukrainien·ne·s dans une municipalité ou un quartier donné sont mieux compris. Grâce à cela, la nourriture, les produits d'hygiène, les médicaments, etc. parviennent le plus rapidement possible aux personnes dans le besoin. Le ZNP a pris des mesures pour soutenir le système éducatif au niveau central tout en soutenant les enseignant·e·s ukrainien·ne·s et polonais·e·s et l'administration scolaire. Il s'agit notamment de formations en ligne organisées en coopération avec des spécialistes expérimenté·e·s et hautement qualifié·e·s, financées par ZNP ou à partir de fonds collectés par ZNP : par ex. des webinaires gratuits pour les directeur·trice·s d'école sur la façon de recruter et d'employer des assistant·e·s interculturel·le·s et du personnel de soutien à l'éducation, sur la manière d’organiser le travail et élaborer un plan de travail des assistants en fonction des besoins d'une école ou d'un établissement d'enseignement particulier. En outre, des cours gratuits sont dispensés aux assistant·e·s interculturel·le·s, qui leur donnent des informations de base sur le système éducatif en Pologne, des connaissances sur le rôle des tâches d'assistant·e, les formes de travail possibles, le système éducatif polonais et les réglementations de base importantes pour les élèves et tuteur·trice·s, ainsi que sur les lieux et les possibilités d'obtenir des conseils. En outre, il existe des cours gratuits sur l'enseignement du polonais comme langue étrangère pour les enseignant·e·s actif·ve·s du primaire et du secondaire.

Le ZNP a employé un·e· enseignant·e de Charkiv dans son bureau de Varsovie, dont la tâche est de tenir une rubrique en ukrainien sur le site Web du ZNP, d'acquérir et de publier des informations actualisées importantes pour les enseignant·e·s, les étudiant·e·s et leurs tuteur·trice·s ukrainien·ne·s, de créer une base de données d'enseignant·e·s ukrainien·ne·s désireux·euses de travailler et de répondre aux questions sur les questions éducatives. De plus, le ZNP cofinance le séjour de 200 personnes au Centre du ZNP dans la ville de Zakopane et des chambres adaptées et équipées par le syndicat au sein de ses sièges de Varsovie et Katowice.

 

3.  Comment le CSEE et les syndicats de l'enseignement d'autres pays pourraient-ils aider votre syndicat à relever ces défis ?

Monika Ćwiklińska: À notre avis, le CSEE, en tant que partenaire social européen, devrait exercer une forte pression sur la Commission européenne en ce qui concerne la mobilisation urgente de fonds pour les États membres qui aident directement les réfugié·e·s. Une solution juridique à long terme et systémique devrait être créée à ce sujet. Nous attendons de nos partenaires un soutien substantiel des organisations membres et un partage de bonnes pratiques dans le domaine de la crise migratoire, qui a culminé en 2015-2019.

Aniela Bialowolska Tejchman: Il peut s'agir d'une aide financière, peut-être de nouvelles idées ou de conseils. Nous n'avons aucune expérience de cette situation nouvelle, qui se développe chaque jour. Par conséquent, je pense que ce point nécessite une discussion plus large entre les différent·e·s représentant·e·s syndicaux·ales sur comment et de quelle manière il·elle·s pourraient aider.

Dorota Obidniak: Ces derniers jours, nous avons pris connaissance de l'ampleur des besoins d'admission des élèves ukrainien·ne·s à l'école. Dans chaque endroit que le ZNP a visité récemment avec différentes délégations, nous avons demandé comment aider. Il y a des choses sur lesquelles nous n'avons aucun contrôle à notre niveau parce que c'est de la responsabilité du gouvernement, comme le logement, l'emploi, l'accès rapide au marché du travail, la validation gratuite des diplômes. Ce que le ZNP peut faire pour aider les écoles et les enseignant·e·s, c'est former, former et former encore. J'ai mentionné que nous organisons un cours de polonais comme langue étrangère. Il y a un manque de tels spécialistes en Pologne parce que le polonais n'est pas aussi populaire que le français ou l'espagnol. Nous avions prévu un cours pour 100 enseignant·e·s maximum, mais le deuxième jour, nous avons dû fermer l’appel à candidatures car 1200 personnes avaient postulé. Avec l'université, nous avons réussi à trouver une solution pour former tou·te·s ceux·celles qui voulaient y assister, mais le coût de ces cours est de 40 000 euros. Il est très important pour nous que la formation soit gratuite, car les enseignant·e·s en Pologne gagnent très peu. S'occuper de plusieurs, parfois plus d'une douzaine de nouveaux étudiant·e·s dans une classe, leur préparer du matériel pédagogique ou leur donner des cours supplémentaires, entraîne un travail supplémentaire et pénible. Et pourtant, il y a des gens qui font la queue pour la formation des assistant·e·s interculturel·le·s (assistant·e·s pour les enseignant·e·s et les parents), donc nous payons aussi des podcasts sur l'histoire ukrainienne pour les enseignant·e·s, nous préparons du matériel pédagogique pour les étudiant·e·s. Les enfants ukrainien·ne·s en Pologne reçoivent des soins de santé et de la nourriture, mais la formation n'est financée que par quelques organisations d'aide mondiales. De notre visite dans les villes frontalières, il ressort qu'une aide matérielle et financière est nécessaire du côté ukrainien pour les villes de l'ouest de l'Ukraine où se sont réfugié·e·s un grand nombre de réfugié·e·s de guerre qui ne veulent pas quitter leur pays.