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attractif!

Les enseignant·e·s dans un monde du travail en mutation

Les syndicats doivent capitaliser sur l'opportunité créée par la crise dans le secteur de l'éducation, suggère Howard Stevenson, Professeur à l'Université de Nottingham, co-auteur d'un document de recherche sur le statut de la profession enseignante. De nombreuses parties prenantes ont pris conscience de la nécessité d'agir pour lutter contre la pénurie d'enseignant·e·s, et un consensus croissant semble se former autour des facteurs pertinents pour faire de l'enseignement un cheminement de carrière attrayant. Entretien.

En Europe, chaque pays a son propre système éducatif. Est-il juste de dire que la pénurie d'enseignant·e·s cause des problèmes partout ?

Tous les systèmes éducatifs ne sont pas confrontés à de graves pénuries d'enseignant·e·s, mais la plupart des pays signalent des problèmes à certains niveaux, pour certaines matières, dans certaines zones géographiques ou, par exemple, dans des zones socio-culturellement défavorisées. Il n'y a que trois pays en Europe où il existe des preuves d'un excédent. En outre, la plupart des pays connaissant une pénurie d'enseignant·e·s font état d'une population d'enseignant·e·s vieillissante, ce qui laisse présager une escalade du problème, car de nombreux·euses professionnel·le·s plus expérimenté·e·s atteindront l'âge de la retraite au cours de la prochaine décennie.

Qu'est-ce qui empêche les écoles de recruter de jeunes professionnel·le·s ?

La formation des enseignant·e·s est toujours populaire dans de nombreux pays européens, tandis que dans d'autres, les établissements ont du mal à recruter de nouveaux·elles étudiant·e·s. Cependant, trouver de nouveaux·elles candidat·e·s pour cette fonction est devenu de plus en plus difficile, car de nombreuses autres professions nécessitant des profils similaires offrent des conditions de travail et une rémunération compétitives. Dans certains pays, cela est vécu comme un problème de recrutement et une pénurie de demandeur·euse·s d'emploi. Dans d'autres cas, il peut y avoir beaucoup de candidat·e·s, mais trop d'entrant·e·s quittent la profession assez rapidement, c'est-à-dire qu'il y a un problème de rétention. Naturellement, les difficultés simultanées de recrutement et de rétention suggèrent un potentiel considérable de crise.

Les enseignant·e·s n'ont jamais gagné beaucoup d'argent, pourtant leur profession était perçue comme une profession décente. Qu'est-ce qui a changé dernièrement ?

À mon avis, il y a trois facteurs clés à considérer : la rémunération, la satisfaction au travail et les conditions de travail. La rémunération des enseignant·e·s, ou le salaire, pour le dire très simplement, a traditionnellement été inadéquate. Il est inférieur aux revenus moyens des diplômé·e·s dans la plupart des pays européens. Cependant, dans le passé, on peut dire que cela était compensé par les deux autres facteurs : des niveaux généralement bons de satisfaction au travail et des conditions de travail qui présentaient certaines caractéristiques attrayantes. En d'autres termes, les gens se sont lancés dans l'enseignement parce que c'était considéré comme un travail intellectuel stimulant et créatif avec un objectif social, offrant des niveaux élevés de récompense intrinsèque. Il présentait également des attraits en termes d'équilibre travail-vie personnelle. Il en est résulté un équilibre difficile dans lequel les bas salaires ont été compensés par d'autres facteurs, en particulier pour ceux·celles qui ont des rôles de prestataires de soins familiaux. Dans de nombreux pays, les femmes continuent de dominer, l'enseignement en tant que groupe professionnel étant composé à environ 75 % de femmes.

Dans notre rapport, nous soutenons que cet équilibre difficile n'existe plus. La recherche indique que la rémunération reste un problème (aggravé par la crise du coût de la vie), mais les autres éléments de cette relation se détériorent désormais également. Les niveaux de satisfaction au travail sont faibles et en baisse, tandis que les conditions de travail se détériorent également. En particulier, et suite à la pandémie, nous voyons l'enseignement comme un métier qui offre peu de flexibilité au personnel. Cela contraste avec de nombreuses opportunités pour les diplômé·e·s qui offrent de plus en plus des horaires flexibles, du « travail à domicile » et des arrangements qui peuvent être adaptés aux rôles de prestataires de soins familiaux. Il s'agit probablement de tendances à long terme dans l'avenir de la profession qui signifient que les problèmes actuels d'offre d'enseignant·e·s ne peuvent être considérés comme étant à court terme.

Dans le rapport, vous faites référence au « stress au travail ». Pourriez-vous expliquer ce que signifie le stress au travail dans un contexte scolaire ?

Les enseignant·e·s travaillent généralement de longues heures et pour des salaires peu compétitifs. Mais ce n'est qu'une partie du problème. Le « stress au travail » est un concept utile qui combine deux autres facteurs : l'intensité du travail (la quantité d'efforts déployés pendant les heures de travail) et le choix des tâches à discrétion (le degré de contrôle exercé sur le travail lui-même). D'excellentes données, issues de très grandes études, montrent que les enseignant·e·s connaissent souvent à la fois une forte intensité de travail et un faible choix des tâches à discrétion. En fait, il·elle·s ont en moyenne le double du niveau de stress au travail subi dans d'autres professions similaires. Une grande partie de cela est associée à la responsabilisation et à la bureaucratie accrues que les enseignant·e·s subissent au travail. Ces pressions, qui sont à leur paroxysme dans les systèmes éducatifs où la profession enseignante jouit de peu de confiance, augmentent la charge de travail, tout en réduisant l'autonomie professionnelle.

Selon vous, que peut-on faire pour inverser ce processus ?

Je crois que dans de nombreux pays et au sein de l'UE, les autorités éducatives et les décideur·euse·s politiques sont de plus en plus conscient·e·s que les facteurs qui ont aidé le système à fonctionner historiquement ne sont plus présents. Les problèmes actuels ne sont pas à court terme et ne seront pas résolus par un changement rapide des conditions économiques. Ainsi, les syndicats de l'enseignement ont un rôle clé à jouer pour garantir que les décideur·euse·s politiques adoptent des solutions audacieuses et radicales.

Celles-ci doivent se concentrer sur quatre domaines : premièrement, il est impossible d'éviter la question de la rémunération. Tant que les enseignant·e·s recevront des revenus inférieurs à la moyenne des diplômé·e·s dans leur pays, les pénuries persisteront. Deuxièmement, les enseignant·e·s ont besoin des conditions de travail et de l'espace intellectuel nécessaires pour pouvoir effectuer leur travail efficacement, ce qui contribuera à restaurer la satisfaction au travail. Troisièmement, nous pensons qu'un programme ambitieux autour des questions d'égalité et de diversité peut avoir un impact sérieux sur l'amélioration de l'attractivité de la profession. La réduction des écarts de rémunération, la promotion d'horaires de travail flexibles et l'adoption de politiques qui soutiennent ceux·celles qui ont des rôles de prestataires de soins familiaux peuvent tous faire une différence importante. Enfin, il est important de soutenir les enseignant·e·s tout au long de leur carrière et de reconnaître que les enseignant·e·s expérimentés·e·s, tout comme ceux·celles qui sont en début de carrière, ont des besoins familiaux professionnels distincts.

Les problèmes actuels d'offre d'enseignant·e·s, rencontrés dans de nombreux pays d'Europe, risquent de s'aggraver plutôt que de s'améliorer. Nous comprenons assez bien les problèmes - mais nous ne voyons pas souvent l'engagement politique nécessaire pour s'attaquer aux problèmes. Les gouvernements doivent agir - et les syndicats de l'enseignement ont un rôle clé à jouer pour s'assurer qu'ils agissent.

 

Pour lire le rapport de recherche complet par le Professeur Howard Stevenson, Université de Nottingham et le Dr Alison L. Milner, Université d’Aalborg

Pour un Cadre d’action sur l’attractivité de la profession enseignante par un dialogue social efficace dans l’éducation